Il s'agit d'une sorte de bible de la psychiatrie américaine qui fait référence mondialement autant parce qu'elle semble indispensable qu'elle est contestable.
Rappelons, avec l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, l'origine historique de cet ouvrage. Pour lui il s'agit d'un manuel statistique parce qu’en psychiatrie, il n'y a pas de témoin fiable, c’est-à-dire qu’il n'y a pas de marqueurs biologiques. Cette démarche est originale dans la mesure où en raison de l'absence de marqueurs biologiques, la psychiatrie observe une perception subjective de l’état du patient.
Pourquoi ce manuel est-il indispensable aux États-Unis ? « Là-bas les assurances maladie ne prennent en charge le traitement que si un diagnostic a été établi et ce diagnostic doit être fait selon des normes. Donc aux Etats-Unis on vous diagnostiquera dès la première séance chez le psychiatre. Ça n’est pas du tout le cas en France. » rappelle Tobie Nathan.
Quand il fut publié pour la première fois en 1952 il comportait moins de 100 pathologies psychiatriques. Puis il a évolué en se rapprochant des neurosciences (et donc de la pharmacologie pour produire des neuroleptiques comme les anxiolytiques ou autres antidépresseurs). Nous connaissons tous la terminologie "TOC" qu’il emploie pour désigner les roubles obsessionnels compulsifs. Le DMS-4 étaient passés à 297 pathologies
Il existe donc un débat autour du DSM-5. Celui-ci est important parce qu'il engendre une discussion publique au sujet d'un traité qui fonctionne comme une norme et qui dans certains pays, dont les Etats-Unis, induit une politique publique. Il va donc permettre l'établissement d'une relation entre les laboratoires pharmaceutiques, les experts et les usagers.
En France et dans de nombreux autres pays il est l'objet de très importantes controverses. Tout d'abord parce qu'il amène des classifications psychiatriques. Même si celles-ci ne sont pas nouvelles, l’hystérie a fait florès au début du XIXe siècle, aujourd'hui on constate une mode pour lestroubles bipolaires. Celle-ci a même fait l'objet sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy d'études visant à diagnostiquer une potentialité criminogène chez le très jeune enfant. Cette idée rejoignait les propositions du DSM-5. Cela pose problème parce que une fois décrit le trouble devient un outil pour les laboratoires pharmaceutiques. Il n'y a donc plus de place pour l'aspect humain de la psychiatrie qui est abandonnée alors aux seules neurosciences.
Les accusations sont nombreuses contre le DSM-5. D'abord il n'est pas assuré que la qualification de ce qui l’élabore soit garantie. Sont-ils tous psychiatres ? Quel est le rôle des laboratoires pharmaceutiques dans sa conception ? Cet ouvrage est donc accusé au cours de discussions conflictuelles dans des débats d'experts de fabriquer des maladies mentales et de pousser les citoyens à consommer des psychotropes. L'éditeur devant les critiques qu’il suscitait avaient mis en ligne en 2010 une version préliminaire afin de recueillir les critiques et propositions d'aménagement de l'édition 2013.
Les controverses autour des éditions précédentes en 1980 et 1994 n'avaient toutefois pas atteint le degré qui les caractérise aujourd'hui. Nature dans un article du 25 avril faisait remarquer avec un certain sarcasme que « , l'une des seules suggestions qui n'a pas soulevé de hurlements de protestation pendant le processus de révision a été... le changement de nom, de DSM-V en DSM-5. »
Si en France il existe depuis trois ans un mouvement d'inspiration psychanalytique appeléeStop DSM et qui s'insurge d'une façon générale contre la pensée unique du principe, aux États-Unis c'est le NIMH (National Institute of Mental Health) qui vient de se désolidariser du DMS-5 déclarants que "Les patients atteints de maladies mentales valent mieux que cela", et que son organisation "réorientait ses recherches en dehors des catégories du DSM", du fait de la faiblesse de celui-ci sur le plan scientifique.
L’importance des enjeux.
On peut la mesurer au coût de cette nouvelle édition. 25 millions de dollars (19 millions d'euros). Pourtant certaines critiques désignent du doigt la faiblesse de sa qualité scientifique. Ceci laisse entendre bien entendu la mainmise de l'industrie pharmaceutique sur les experts participant à son élaboration. D'autres aspects inquiétants de l'ouvrage apparaissent aujourd'hui. Tel est le cas des "Troubles cognitifs mineurs", de "La perte de mémoire physiologique"… Il en est de même des "Pathologies du deuil".
Les risques de surmédicalisation vont de pair avec les surdiagnostiques qui accompagnent le DMS-5. Aussi certains psychiatres américains invitent d’ores et déjà au boycott. Ceci a une conséquence immédiate très positive, puisqu'ils invitent les patients à s'informer et, je cite, leur préconise ouvertement : "Posez des questions et attendez des réponses claires. N'acceptez pas de médicaments prescrits nonchalamment pour des symptômes légers et transitoires qui vont probablement se résoudre d'eux-mêmes". Mais n'est-ce pas l'attitude que chacun devrait avoir face à la médecine, quel que soit le pays où il se trouve ?