La F.S.A.S.- C.G.T.G. est souvent interpellée par les professionnels de l'intervention sociale et médicosociale à propos de la distribution de médicaments. Plusieurs procès ont eu lieu et c'est la loi H.P.S.T. (Hôpital Patient Santé Territoire) sous Sarkozy, l'ancêtre de la loi santé votée cette année, qui vas semer le trouble et ouvrir la brèche.
Point de vue d'un syndicat d'employeurs (partant de la loi HPST) :
L’article L. 313-26 du Code de l’Action Sociale et des Familles devient l’article L. 313-27 et il est rétabli un article L. 313-26 ainsi rédigé :
Art L. 313-26 C.A.S.F : « Au sein des établissements et services mentionnés à l’article L. 312-1, lorsque les personnes ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l’exclusion de tout autre, l’aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d’accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante. L’aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d’administration ni d’apprentissage particulier. Le libellé de la prescription médicale permet, selon qu’il est fait ou non référence à la nécessité de l’intervention d’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ou non d’un acte de la vie courante. Des protocoles de soins sont élaborés avec l’équipe soignante afin que les personnes chargées de l’aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise. »
A) Détails du texte :
- Dispositions générales de l’article 21 de la Loi HPST
Nouveauté parmi tant d’autres dans le nouvel ordonnancement juridique de la santé et du secteur social et médico-social, l’article 21 de la loi HPST pose un contour légal en adéquation avec la pratique de la prise de médicaments au sein des établissements sociaux et médico-sociaux. Auparavant, seul le Conseil d’Etat dans sa décision du 22 mai 2002 avait statué sur cette question en posant le principe selon lequel la distribution de médicaments et l’aide à la prise de médicaments étaient des actes de la vie courante ne relevant pas seulement du personnel soignant. Aucun texte réglementaire ne faisait néanmoins état explicitement de la distribution ou l’aide à la prise médicamenteuse et des pratiques autorisées dans les établissements sanitaires, sociales et médico-sociales.
En inscrivant ce nouvel article L.313-26 au sein du Code de l’Action Sociale et des Familles, la loi HPST autorise les personnes chargées d’assurer l’aide aux actes de la vie courante dans les établissements sociaux et médico-sociaux à intervenir auprès des usagers dans la prise de leurs médicaments dès lors que cette aide à la prise de traitement constitue une modalité d’accompagnement de la personne dans les actes de la vie courante. Il s’agit aussi d’une amélioration de la situation d’autonomie pour les personnes en situation de handicap auquel un simple accompagnement par les personnes chargées d’assurer l’aide aux actes de la vie quotidienne est nécessaire dans la prise de leur traitement. Ce nouvel article L.313-26 du Code le l’Action Sociale et des Familles vient donc asseoir un certain nombre de pratiques déjà exercées au sein des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) dont il convient de détailler les conditions d’application.
- Conditions d’application de l’article 21 de la Loi HPST
2 conditions doivent être requises :
- 1 condition de fond : le mode de prise du traitement ne doit pas présenter de difficulté d’administration ou d’apprentissage particulier. Il doit donc s’agir d’une prise médicamenteuse orale. Une prise de traitement par voie intraveineuse ne peut en effet entrer dans ce dispositif dans la mesure où elle nécessiterait logiquement un apprentissage de la part de l’usager.
- 1 condition de forme : pour être assimilé à un acte de la vie courante, et donc permettre un encadrement « simplifié » par les personnels des ESMS en charge de l’aide à la vie courante, le libellée de la prescription médicale doit préciser si l’intervention d’auxiliaires médicaux est nécessaire.
Deux hypothèses s’ouvrent alors : soit l’intervention d’auxiliaires médicaux est considérée comme nécessaire, la prise de traitement ne pourra alors pas s’apparenter à un acte de la vie quotidienne ; soit, l’intervention d’auxiliaires médicaux n’est pas considérée comme nécessaire, la prise de traitement pourra alors être assimilée à un acte de la vie quotidienne.
En bref, si la prescription médicale n’explicite pas la nécessité d’avoir recours à l’intervention d’auxiliaires médicaux, la prise médicamenteuse sera assimilée à un acte de la vie courante et l’intervention des personnes chargées d’assurer l’aide aux actes de la vie courante dans les ESMS possible.
B) Une disposition conforme aux pratiques du terrain et favorisant l’autonomie aux usagers.
- Les pratiques de la prise médicamenteuse validées par le Législateur.
Cette disposition, quelque peu dissimulée au sein des « dispositions phare » de la loi HPST permet davantage de souplesse sur la prise en charge médicamenteuse et offre par là-même un gain d’autonomie aux personnes en situation de handicap.
Gouverné par une logique réaliste, ce nouvel article L.313-26 du CASF semble se conformer à la réalité du terrain et par là-même valider des pratiques qui jusque là n’étaient pas clairement autorisées. Il semblerait que cette prérogative de suivi de la prise médicamenteuse revienne tout naturellement aux éducateurs spécialisés et moniteurs-éducateurs ou aides-soignants qui, par leur formation initiale et leur responsabilité éducative, peuvent logiquement et de façon compétente accompagner et aider les usagers dans leur prise de traitement. En utilisant le terme « d’aide à la prise médicamenteuse », le législateur a cependant voulu éviter tout amalgame entre l’aidant et le soignant. Il ne faut donc pas confondre le suivi de la prise médicamenteuse et la distribution de médicament :
- Le suivi de la prise médicamenteuse peut relever du personnel chargé d’assurer l’aide aux actes de la vie quotidiennes (aides-soignants, moniteurs-éducateurs notamment).
- La distribution de médicaments comprenant notamment le conditionnement des piluliers ou la sélection du lieu de rangement des médicaments reste de la compétence exclusive des personnels soignants et/ou médicaux.
- Le droit au respect des conditions d’existence des personnes en situation de handicap reconnu.
Au-delà d’une validation des pratiques du terrain, cette disposition a la qualité de désenclaver la prise médicamenteuse du statut de la personne en situation de handicap. En assimilant la prise médicamenteuse à un acte de la vie courante (selon des conditions de fond et de forme précédemment explicitées), le législateur offre aux usagers des ESMS la possibilité d’accéder à des conditions normales d’existence et de ne plus être contraints par des autorisations et accompagnements forcés lorsque leurs situations physiques ou psychiques ne l’exigent pas.
Point de vue d'un professionnel du droit sur l'administration des médicaments
(Pierre-Brice Lebrun (février 2012))
Il existe, dans les structures sociales et socio-éducatives, une question juridique récurrente, dont la réponse est peu appréciée par les professionnels, parce qu’elle ne correspond pas à leurs espérances : une éducatrice de jeunes enfants, une auxiliaire, un animateur, une ATSEM, un éducateur spécialisé (...) peuvent-ils administrer des médicaments à un enfant qui leur est confié ? La réponse est définitivement non.
Elle repose sur une ambiguïté syntaxique, entretenue par les pouvoirs publics, et sur l’accumulation de différents textes, qui peut donner l’impression qu’il n’existe pas de réponse. C’est faux : le cadre légal est limpide.
Le droit d’administrer des médicaments est réservé aux médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes (article L 4111-1 CSP), aux infirmières et aux infirmiers (article L 4311-1 CSP), donc aux puéricultrices (mais pas aux aides-soignantes ou auxiliaires de puériculture). Toute autre personne qui administre un médicament se rend coupable du délit d’exercice illégal de la médecine (article L 4161-1 du code de la santé publique) : « exerce illégalement la médecine toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels (…) sans être titulaire d'un diplôme, certificat (…) exigé pour l'exercice de la profession de médecin ».
Il n’existe pas de liste de médicaments moins dangereux que l’on peut administrer quand même : est en effet considéré comme médicament « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique » (article L5111-1 du code de la santé publique, extraits). En clair : impossible d'utiliser désinfectant, pommade, baume (etc.), il faut se contenter d'eau tiède et de savon (de Marseille, sans parfum ni colorant).
Il paraît difficile d’imaginer que le droit d'administrer des médicaments soit délégué aux éducateurs, animateurs, AMP (etc) : ce serait ouvrir l’exercice de la médecine à des professionnels qui ne possèdent pas la formation nécessaire. Il est d’autre part inconcevable que les autorités de tutelle exigent soudain la présence, dans chaque structure, crèche, centre de loisirs, foyer, d’un professionnel de la santé. Il n’y a pas assez de diplômés, le coût serait insupportable pour les établissements.
Bon : alors, pourquoi c’est interdit ?
Parce que le professionnel qui administre un médicament en assume seul, à titre personnel, l’entière responsabilité, civile et pénale : on ne lui reprochera jamais d’avoir donné un traitement prescrit par un médecin, ça arrange tout le monde qu’il prenne des risques, on lui reprochera de l’avoir « mal » donné, il sera le seul responsable d’éventuelles conséquences dramatiques. Oui, parce que de nombreux professionnels croient encore à cette forme hilarante de conte d’Andersen : ce serait la chef qui serait responsable, c’est elle qui trinquerait au cas où, et je serais couvert par le médecin qui a signé l’ordonnance. Je comprends combien il est tentant pour les pouvoirs publics (et pour les employeurs) de profiter d’autant de candeur et de naïveté !
D’autres sont convaincus qu’une autorisation des parents a la valeur d’une décharge, mais d’une décharge de quoi ? Aucune autorisation, prescription, protocole ou décharge, aucun document, qu’il émane des parents, du médecin, de la hiérarchie, de qui que ce soit d’autre, ne peut exonérer le professionnel de sa responsabilité en cas d’accident, de réaction allergique, de choc anaphylactique : chacun est pénalement, civilement et personnellement responsable de ses actes.
Le permis de conduire autorise bien à conduire, il n’exonère pas le conducteur de sa responsabilité en cas de carambolage, même accidentel. Sans responsabilité, il n’y a pas de liberté. Le professionnel aura à assumer ses erreurs, mais aussi les erreurs des autres, ceux qui ont mal préparé, mal dosé, mal conservé, mal calculé : devant la justice, c’est celui qui fait qui prend (on appelle ça la responsabilité pénale, que l’acte soit volontaire ou involontaire, lié à une imprudence ou à une négligence : article 121-1 du code pénal), c’est celui qui casse qui paye (c’est la responsabilité civile, prévue par l'article 1382 du code civil).
La responsabilité civile, même professionnelle, s’assure : moins d’un professionnel sur trois est réellement assuré lorsqu’il travaille, les autres pensent être couverts par leur employeur (alors qu'il existe moult contrats, proposés par l'autonome de solidarité, l'AIAS, la SMACL, la MACSF ...). En ce qui concerne l’administration des médicaments, les pouvoirs publics ont trouvé la solution, pour se débarrasser de ce problème qu’il leur est impossible de résoudre : jouer sur les mots, louvoyer, renvoyer le professionnel à ses propres responsabilités, profiter de sa méconnaissance du droit et des responsabilités, accumuler les réponses souvent contradictoires.
La circulaire DGS / DAS 99-320 du 4 juin 1999 estime que « l’aide à la prise de médicaments n’est pas un acte relevant de l’article L 4161-1 du code de la santé, lorsque la prise du médicament est laissée par le médecin prescripteur à l’initiative d’une personne malade capable d’accomplir seule, et lorsque le mode de prise, compte tenu de la nature du médicament, ne présente pas de difficultés particulières ni ne nécessite un apprentissage ». Elle continue et précise : « lorsque la prise du médicament ne peut s’analyser comme une aide à la prise apportée à une personne malade (…), elle relève de la compétence des auxiliaires médicaux habilités à cet effet ».
En clair, si l’enfant (la personne handicapée, âgée ...) est capable de prendre son traitement elle-même, le professionnel qui l’aide à accomplir les actes de la vie courante peut l’aider, lui rappeler l’heure, sécuriser la conservation …
Si l’enfant (etc.) n’a pas la capacité de le faire seul, parce qu’il est trop jeune, parce qu'il est déficient, immobilisé, ou parce que la prise exige une préparation, une injection, seul un auxiliaire médical habilité, c’est-à-dire un infirmier, ou un médecin, peut le lui administrer : mettre un comprimé dans la bouche, ou dans la main, c’est administrer, donner un verre d’eau, c’est aider à la prise. On comprend pourquoi, dans les crèches, il y a des puéricultrices : parce que les enfants ne sont pas en mesure de prendre seuls les traitements qui leur sont prescrits.
Tous les textes expriment la même idée, jouent sur la différence entre administrer et aider à la prise, avec d’autres mots, ou se focalisent sur un cadre précis, comme le Conseil d’État sur la petite enfance. Il précise que, « lorsque les soins sont dispensés dans un établissement ou un service à domicile, à caractère sanitaire, social ou médico-social, l’infirmier peut, sous sa responsabilité, les assurer avec la collaboration d’aides soignants ou d’auxiliaires de puériculture qu’il encadre et dans la limite de la compétence reconnue à ces derniers du fait de leur formation ».
Les EJE ne sont pas mentionnés dans ce texte : ils ne peuvent même pas s’y raccrocher pour donner des médicaments, qu'ils dirigent la structure n'y changent rien. S’ils le font, il faut qu’ils soient bien conscients qu’ils auront à répondre de tout accident devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises, qu’ils auront à indemniser la victime ou sa famille, de leur poche s’ils ne sont pas assurés…
Soyons positifs : vivre dangereusement donne à la vie du sel et du piment.
Ne confondez pas l’administration des médicaments et la non-assistance à personne en péril !
On entend souvent : si je ne donne pas, je vais être poursuivi ... La non-assistance à personne en péril (et non en danger, qui n'existe pas), est prévue et réprimée de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende par l’article 223-6 du code pénal, qui vise quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire. L’article 223-6 du code pénal prévoit également que sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. La précision sans risque (…) pour les tiers n’est pas anodine : un EJE fait courir un risque aux enfants en leur donnant des médicaments, même prescrits, parce qu’il n’est pas capable d’intervenir en cas de problème …
En cas d’urgence, seul le SAMU peut, par téléphone, donner l’autorisation de faire le nécessaire : quoi qu’il décide, il décharge la responsabilité du professionnel (ce n’est pas le cas du médecin de PMI, du médecin de famille, ou de la directrice qui pousse son caddie chez Auchan mais qui a emmené son portable …).
Histoire d'en rajouter une couche, l'article L313-26 du code de l'action sociale et des familles (modifié par la récente loi HPST) dispose : « au sein des établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1, lorsque les personnes ne disposent pas d'une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l'exclusion de tout autre, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante ». Il continue : « l'aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée de l'aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier ». Cela ne change rien : le dernier paragraphe est très clair, et le conseil d'État a bien défini l'aide à la prise, qui est « un acte de la vie courante, lorsque la prise du médicament est laissée par le médecin prescripteur à l'initiative d'une personne malade capable d'accomplir seule ce geste et lorsque le mode de prise, compte tenu de la nature du médicament, ne présente pas de difficultés particulières ni ne nécessite un apprentissage » ... La subtilité réside ici dans « une personne malade capable d'accomplir seule ce geste » ...
COMMENTAIRES DE LA FSAS-CGTG :
Depuis plus de quarante ans, l'idéologie néolibérale s'est donné pour mission de déconstruire le paradigme de l'idéologie sociale. Une attaque frontale est opérée pour changer de paradigme, de croyances collectives et de projet de société au travers du vocabulaire, du droit, des pratiques professionnelles.... Tout passe dans la moulinette et la propagande pour nous faire accepter l'inacceptable. Dans le cas présent, il s'agit de déconstruire les qualifications, les diplômes, les grilles de salaires et tendre vers la polyvalence à moindre coût en évacuant le principe même de la responsabilité lié au métier. La responsabilité juridique devient strictement personnelle et c'est bien là le piège car c'est bien celui qui fait l'acte qui est condamnable, celui qui donne l'ordre s'en tire toujours à bon compte. La nouvelle configuration permet de revenir au chaos du 19ème siècle où tout le monde fait tout, à bon prix ... L'essentiel c'est le "marché" : le social - médicosocial et le sanitaire sont devenus une attraction mercantile tout comme de simples produits manufacturés. La FSAS-CGTG conseille aux travailleurs de s'organiser pour refuser des ordres contrevenant à leur fonction.