Revenir aux fondements des idées racistes : mieux les comprendre pour mieux les combattre. Axel Kahn nous aide à poser un regard historique et scientifique sur le racisme. Axel Kahn est médecin, directeur de recherche à l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique.
L’homme moderne semble avoir colonisé peu à peu la planète à partir d’un petit groupe qui a commencé de quitter l’Afrique il y a moins d’une centaine de milliers d’années. Ces hommes, établis en différentes régions du globe, ont parfois été confrontés à des populations autochtones antérieures (par exemple les néandertaliens en Europe). Localement, ils se sont, au cours du temps, plus ou moins différencié les uns des autres, formant des groupes physiquement reconnaissables, des ethnies… on devait dire, un jour, « des races ».
LES FONDEMENTS DU RACISME
Race et racisme sont deux mots de même origine. On appelle « race » l’ensemble des individus d’une même espèce qui sont réunis par des caractères communs héréditaires. Le racisme est la théorie de la hiérarchie des races humaines, théorie qui établit en général la nécessité de préserver la pureté d’une race supérieure de tout croisement, et qui conclut à son droit de dominer les autres. Si on s’en tient à ces définitions, tout semble clair et facile. Puisque le racisme est défini par les races, il suffit de démontrer que les races n’existent pas pour ôter toute substance au racisme. Cependant, les choses sont loin d’être aussi simples. En effet, le racisme s’est structuré en idéologie à partir de la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire, pour paraphraser Georges Canguilhem, en une croyance lorgnant du côté d’une science pour s’en arroger le prestige. Le racisme possède un fondement qui n’est pas issu des progrès de la biologie. Tout débute par des préjugés, et lorsque le racisme aura été débarrassé de ses oripeaux scientifiques on peut craindre que ceux-ci ne persistent. Or ils sont autrement difficiles à combattre.
Les races humaines n’existent pas, au sens que l’on donne au mot « race » lorsque l’on parle de races animales. Un épagneul breton et un berger allemand appartiennent, par exemple, à deux races différentes qui obéissent peu ou prou aux mêmes caractéristiques, à l’instar des variétés végétales : distinction, homogénéité, stabilité. En l’absence de croisement entre ces races, les similitudes intraraciales l’emportent de loin sur les ressemblances entre deux individus de races différentes. Rien de tout cela ne s’applique aux populations humaines. Ainsi, on constate du nord au sud une augmentation continue de la pigmentation cutanée : les peaux très blanches en Scandinavie foncent graduellement pour en arriver à la couleur la plus sombre en zones équatoriales et subéquatoriales.
Certains ont proposé que la sélection des peaux claires dans les régions les moins ensoleillées ait permis d’améliorer la synthèse cutanée de la vitamine D, facteur antirachitique essentiel, normalement stimulée par la lumière. À l’inverse, la richesse cutanée en mélanine a été sélectionnée dans les pays soumis à l’ardeur du soleil car elle protège des brûlures et des cancers cutanés.
CE QUI EST RACISTE ET CE QUI NE L’EST PAS
Un préjugé raciste peut être défini comme la tendance à attribuer un ensemble de caractéristiques péjoratives, transmises héréditairement, à un groupe d’individus. Des affirmations telles que « tous les Juifs sont avares, tous les Irlandais sont violents, tous les Corses sont paresseux » sont des exemples typiques d’affirmations racistes. En revanche, toute indication d’une différence physique, physiologique entre populations n’a évidemment rien de raciste : dire que les Suédois sont plus grands que les Pygmées ou que les Africains noirs pourraient avoir des dons particuliers pour la course à pied sont des remarques dénuées de toute connotation négative et qui reflètent la réelle diversité humaine. Il se trouve parfois dans la presse des discours irréfléchis où est taxée de raciste une étude notant que le chiffre normal des globules rouges et la durée de la grossesse sont légèrement différents entre des populations d’origine africaine et, par exemple, européenne. Ces paramètres ne préjugeant en rien des capacités les plus spécifiquement humaines, de l’ordre de la créativité et de la dignité, leur étude ne peut d’aucune manière être diabolisée comme étant d’essence raciste.
HISTOIRE DU RACISME
Des discours racistes apparaissent dès l’Antiquité, y compris chez Aristote. Ce dernier établit des différences intrinsèques de comportement et de qualités entre les peuples ; selon lui, les Européens sont courageux mais un peu sots, les Asiatiques très intelligents mais manquent de courage, et les Hellènes, placés géographiquement au milieu, combinent les avantages des uns et des autres : ils sont intelligents et courageux. Le philosophe ajoute que les esclaves sont des « choses animées », et il introduit la notion d’esclaves par nature. Cependant, et là réside l’ambiguïté qui empêche de ranger définitivement les Grecs dans le camp des protoracistes, les esclaves peuvent être affranchis… et accèdent alors de plein droit à l’humanité.
À Rome, le discours change. Cicéron écrit : « Il n’est de race qui, guidée par la raison, ne puisse parvenir à la vertu. » Dans la foulée de l’impérialisme romain, les premiers siècles de la chrétienté sont exempts de racisme, car s’y trouvent combinés l’universalisme du messianisme chrétien s’exprimant dans la parole de saint Paul et le souvenir de l’Empire romain, creuset de peuples et d’ethnies différents.
Dans l’Occident chrétien, le racisme réapparaît et se développe plusieurs siècles avant l’apparition du concept scientifique de race, à partir de l’an 1000, autour des cristallisations religieuses, l’anti-islamisme et, surtout, l’antijudaïsme. Au XIIesiècle, en pleine querelle des Investitures, Anaclet II, l’antipape élu, a un ancêtre juif. La campagne virulente du camp romain contre cet antipape s’appuie sur ses origines « maudites » souillant tout son lignage. L’antijudaïsme virulent de Saint Louis flirte avec l’antisémitisme. Dans l’Espagne chrétienne, c’est un antisémitisme cette fois structuré qui se manifeste, puisque les juifs convertis sont interdits d’accès aux fonctions publiques, au métier des armes, etc. Il est décrété que ces individus doivent être écartés parce que l’infamie de leur père les accompagnera toujours. La notion d’hérédité d’une infériorité, d’un opprobre, qui constitue une base essentielle du racisme, est donc ici manifeste.
C’est dans ce contexte que prend place un épisode décisif, souvent présenté comme un succès de la civilisation alors qu’il s’agit d’un drame effroyable : la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. À cette occasion s’accomplit l’un des premiers génocides de l’histoire du monde. En 1492, Christophe Colomb débarque à Hispaniola (Haïti, Saint-Domingue), une île alors peuplée de 3 millions de Taïnos. Trois ans après, il ne reste déjà plus que 1 million d’Indiens ; soixante ans après, ils ne seront plus que 200, qui disparaîtront rapidement.
Tous les ingrédients du racisme tel qu’il s’est manifesté depuis, y compris dans les univers concentrationnaires, sont ici réunis. Les Indiens sont parqués et mis au travail forcé, les enfants sont tués, les femmes enceintes sont éventrées. Dans cette misère extrême, les femmes n’ont plus d’enfants, voire, pour échapper à leur malheur, se suicident en masse.
À partir de 1519, d’âpres débats théologiques opposent Bartolomé de Las Casas, qui est entre-temps devenu dominicain, à différents autres ecclésiastiques. La confrontation la plus connue est la controverse de Valladolid, en 1550, qui aboutit à la conclusion, acquise de justesse, que les Indiens ne sont pas de nature différente des autres hommes. On continue malgré tout à les massacrer, et l’Amérique, qui comptait 80 millions d’aborigènes aux temps précolombiens, n’a plus que 8 millions d’habitants quatre vingts ans après sa « découverte » par Christophe Colomb. Par la suite, les Indiens ayant été massacrés et décimés, se pose le problème de la main d’œuvre dans les colonies américaines. Cette question devient cruciale lorsque s’y développe la culture de la canne à sucre, conduisant le Portugal, puis la France et l’Angleterre, à développer le commerce trilatéral et la traite des Noirs.
Depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, entre la naissance de l’antisémitisme chrétien, la conquête de l’Amérique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrédients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent d’être perpétrés.
L’IDÉOLOGIE RACISTE
Le concept scientifique de race n’apparaît qu’au XVIIIe siècle. Il est perceptible sous la plume de Carl von Linné, dont la classification systématique des êtres vivants s’étend aux hommes rangés en cinq catégories… qui deviendront des races : les «monstrueux » (c’est-à-dire les personnes atteintes de malformation, que Linné assimile à une race à part entière), les Africains, les Européens, les Américains et les Asiatiques. À chacune de ces catégories il attribue des caractéristiques et des qualités comportementales, les plus flatteuses étant naturellement réservées aux Européens.
Avant le XVIIIe siècle, le mot « race» est surtout utilisé dans le sens de lignage aristocratique : on parle d’enfants de bonne race, de bon lignage… un peu comme de chevaux de bonne race.
C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe, que l’on assiste à la structuration des préjugés protoracistes en idéologie par agrégation successive des progrès scientifiques, principalement la théorie de l’évolution. C’est à cette même époque qu’apparaissent les deux grandes thèses opposées sur l’origine de l’homme : produit de l’évolution ou créature, est-il apparu une fois – les hommes actuels étant tous les descendants de cet ancêtre (monogénisme) – ou plusieurs fois de façons séparées et indépendantes – les différents groupes ethniques ayant alors des ancêtres différents (polygénisme) ? Naturellement, c’est cette dernière hypothèse que privilégient les doctrinaires du racisme. Le polygénisme sera la thèse privilégiée par les créationnistes esclavagistes américains jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Le mécanisme de la sélection naturelle comme moteur de l’évolution, proposé par Charles Darwin, et surtout la lecture qu’en fait le philosophe anglais Herbert Spencer, contemporain de Darwin, puis l’Allemand Ernst Haeckel vont modifier en profondeur la forme de l’idéologie raciste. En effet, le mécanisme de l’évolution, la lutte pour la vie pour Darwin, devient, sous l’influence de Spencer, la survivance du plus apte. Appliquée aux civilisations, cette notion peut constituer une justification a posteriori de la domination des vainqueurs, qui sont bien entendu les plus aptes, puisqu’ils l’ont emporté. Un tel raisonnement tautologique s’est révélé d’une redoutable efficacité à l’appui des thèses racistes. À vrai dire, il serait profondément injuste de faire porter à Charles Darwin, un des plus grands scientifiques qui ait jamais existé, la responsabilité personnelle des dérives idéologiques dont ses travaux ont fait l’objet et ont été victimes, car il a toujours récusé l’interprétation eugéniste et sociale des mécanismes de l’évolution qu’il avait mis au jour.
Les lois de la génétique, c’est à dire les règles gouvernant la transmission des caractères héréditaires, énoncées initialement par le moine Gregor Mendel en 1865, redécouvertes au début du XXe siècle par des botanistes européens et développées par l’États-Unien Thomas H. Morgan, auront alors une influence considérable sur la biologie et, plus généralement, sur l’évolution sociale et politique des pays. On assiste en effet à la tragique synthèse entre le racisme, théorie de l’inégalité des races ; le déterminisme génétique, qui considère que les gènes gouvernent toutes les qualités des êtres, notamment les qualités morales et les capacités mentales des hommes; et l’eugénisme, qui se fixe pour but l’amélioration des lignages humains. Sous l’influence de la génétique, le dessein eugénique devient l’amélioration génétique de l’homme, la sélection des bons gènes et l’élimination des mauvais gènes qui gouvernent l’essence des personnes et des races. L’Allemagne nazie poussera cette logique jusqu’à l’élimination des races « inférieures », censées porter et disséminer de mauvais gènes.
LES RACISTES ET LE QUOTIENT INTELLECTUEL
Les préjugés racistes sont loin d’avoir disparu après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. La conviction que le quotient intellectuel moyen est différent selon les ethnies était alors partagée par une grande majorité des élites scientifiques, du Français Paul Broca aux anthropologues états-uniens consultés pour l’élaboration de l’Immigration Restriction Act de 1924, qui limitait sévèrement l’entrée aux États-Unis des ressortissants issus de pays où, selon les psychométriciens consultés, sévissait la débilité. Plus près de nous, les sociologues Charles Murray et Richard J. Herrenstein en 1994, puis encore Bruce Lahn et ses collègues en 2005, enfourchent la même monture idéologique. En fait, un examen soigneux de tous ces travaux, même les plus récents, en démontre la faiblesse et les erreurs, parfois grossières, à l’évidence motivés par des présupposés idéologiques.
GÉNOMES ET RACISME
C’est en 2001 que fut publiée la première séquence presque complète du génome humain, très affinée depuis. Les humains possèdent environ 22000 gènes qui ne différent que très peu d’une personne à l’autre. L’alphabet génétique est composé de quatre lettres : A, C, G et T, disposées en un long enchaînement de 3,2 milliards de signes hérités de chacun de nos parents. Or cet enchaînement ne varie qu’une fois sur dix mille entre des hommes ou des femmes issus d’Afrique, d’Asie ou d’Europe.
La très grande ressemblance entre les génomes de personnes issues d’ethnies différentes, originaires de régions éloignées les unes des autres de plusieurs milliers de kilomètres, a semblé rassurante : c’est là la preuve, a-t-on affirmé alors, que les races n’existent pas et que le racisme n’a donc plus aucune justification possible, qu’il est appelé, espère-t-on, à disparaître bientôt. Hélas, je crains qu’on ne soit allé bien vite en besogne, par ignorance ou sous l’influence de présupposés idéologiques. En fait, il faut revenir au mode d’action des gènes, c’est-à-dire au mécanisme par lequel ils influencent les propriétés des êtres vivants, qui est combinatoire, à la manière dont c’est la combinaison des mots qui donne sens à la phrase ou au texte. Or ce n’est pas le nombre de mots utilisés qui fait la qualité littéraire d’un texte, de même que ce n’est pas le nombre de gènes qui explique l’étendue des potentialités humaines. C’est à dessein que j’utilise ici le terme de « potentialité », car la combinaison des gènes ne gouverne que la possibilité pour une personne d’être éduquée au contact d’une communauté de semblables.
Isolé, élevé par des animaux, le petit d’homme évoluera vers ces enfants sauvages dont de nombreux exemples ont été décrits dans l’histoire, incapables d’atteindre les capacités mentales caractéristiques de l’espèce humaine.
L’effet combinatoire des gènes explique que de petites différences génétiques puissent avoir de considérables conséquences sur les êtres, comme en témoignent les aspects et capacités bien distincts des hommes et des chimpanzés, dont les gènes sont pourtant à 98,4 % identiques. C’est pourquoi aussi la grande homogénéité génétique des hommes du monde entier, confirmée par l’étude du génome, n’est pas suffisante pour conjurer la menace d’un dévoiement raciste de la biologie, pour deux ordres de raisons : les maladies avec retard mental témoignent que la mutation d’une seule des plus de trois milliards de lettres de l’alphabet génétique suffit à altérer les fonctions cognitives ; de très légères différences dans le génome des personnes pourraient de la sorte avoir chez elles d’importantes conséquences. D’autre part, l’affirmation que le racisme est illégitime parce que, sur le plan biologique, et en particulier génétique, les races n’existent pas revient à admettre que si les séquences génétiques différaient statistiquement entre les ethnies le racisme serait peut-être recevable. Or, bien sûr, puisqu’on peut distinguer les gens en fonction de leurs caractéristiques physiques – couleur de la peau, aspect de la chevelure, etc. –, on le peut aussi à partir de l’ADN qui code toutes ces caractéristiques. Là ne réside, en fait, ni l’origine du racisme ni la justification de l’antiracisme.
LE RACISME PEUT SE PASSER DES RACES
Lorsque l’on aura expliqué à des gens habités par des préjugés racistes que les races humaines n’existent pas au sens où l’on parle de races animales distinctes, peut-être seront-ils impressionnés et convaincus. Pourtant, cette démonstration risque bien d’être insuffisante, car déconnectée du vécu des gens ordinaires qui, eux, n’ont pas de difficulté à reconnaître, dans la rue, des Jaunes, des Blancs, des Noirs, des Méditerranéens bruns et des Scandinaves blonds. Par ailleurs, la réfutation scientifique de la réalité des races ne prend pas en compte les très fréquentes racines socioéconomiques d’un racisme qui est souvent le reflet du mal-être et du mal vivre, par exemple au sein des populations défavorisées de grandes villes.
Paradoxalement, il n’y a que peu de rapports entre la réalité des races et celle du racisme.
Chacun peut en effet observer que les pires excès racistes s’accommodent fort bien de la non existence des races humaines. En ex-Yougoslavie, les plus effroyables comportements de type raciste ont opposé les Slaves du Sud, les uns convertis au catholicisme (les Croates), les autres à l’islam (les Bosniaques), et les derniers à la religion orthodoxe (les Serbes).
Dans le discours des racistes modernes, ce ne sont souvent plus les races qui sont déclarées incompatibles ou inégales, ce sont les coutumes, les croyances et les civilisations. C’est un choc des cultures. Ce qui est rejeté, ce n’est plus tellement l’homme noir, blanc ou jaune, ce sont ses préparations culinaires, ses odeurs, ses cultes, ses sonorités, ses habitudes.
Souvent, la montée en puissance de l’uniformisation culturelle et l’imposition des standards occidentaux accompagnant la mondialisation économique entraînent, en réaction, une tendance au repli communautaire. Il s’agit là d’un réflexe de protection contre une civilisation opulente et dominatrice dont on ressent la double menace, celle de l’exclusion et de la dépossession de ses racines.
Or il y a dans cette forme de communautarisme exclusif une tendance qui m’apparaît non humaine. Ce qui caractérise, en effet, les civilisations et leur évolution, ce sont les échanges culturels et les emprunts qui, à l’opposé de l’uniformisation imposée par une culture dominante, créent de la diversité et ouvrent de nouveaux espaces au développement de l’esprit humain. Les Phéniciens subissent l’influence des Hittites, des Assyriens, des Babyloniens, qui échangent avec l’Égypte, avec la Grèce. Les Étrusques, nourris des arts et techniques grecs et phéniciens, sont à l’origine de la culture romaine. Plus près de nous, la musique des esclaves noirs des États-Unis sera à l’origine du jazz et d’autres courants majeurs de la musique moderne, l’« art nègre » fécondera la peinture et les arts plastiques occidentaux, et les conduira en particulier au cubisme. Le progrès des sociétés humaines est toujours passé par le métissage culturel.
À l’inverse, les races animales n’échangent guère leurs habitudes, elles conservent leurs particularités éthologiques qui n’évoluent, pour l’essentiel, que sous l’effet de variations génétiques et écologiques. La diversité humaine n’est donc facteur d’enrichissement mutuel que si elle est associée à l’échange. L’uniformité a le même effet que le repli sur soi : dans les deux cas, le dialogue est stérilisé et la civilisation dépérit.
UN ENGAGEMENT ANTIRACISTE
Au total, la biologie et la génétique modernes ne confirment en rien les préjugés racistes, et il est certainement de la responsabilité des scientifiques de réfuter les thèses biologisantes encore trop souvent appelées à leur rescousse. Cela est relativement aisé, mais à l’évidence insuffisant, tant il apparaît que le racisme n’a pas besoin de la réalité biologique des races pour sévir.
À l’inverse, ce serait un contresens de vouloir fonder l’engagement antiraciste sur la science. Il n’existe en effet pas de définition scientifique de la dignité humaine, il s’agit là d’un concept philosophique. Aussi le combat antiraciste, en faveur de la reconnaissance de l’égale dignité de tous les hommes, au-delà de leur diversité, est-il avant tout de nature morale, reflet d’une conviction profonde qui n’est évidemment en rien l’apanage exclusif du scientifique.
Depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, entre la naissance de l’antisémitisme chrétien, la conquête de l’Amérique et la traite des esclaves noirs, ce sont donc tous les ingrédients du racisme qui se mettent en place, tous ses crimes qui commencent d’être perpétrés.
Le racisme s’est structuré en idéologie à partir de la fin du XVIIIe siècle, en une croyance lorgnant du côté d’une science pour s’en arroger le prestige. Le racisme possède un fondement qui n’est pas issu des progrès de la biologie.
Un préjugé raciste peut être défini comme la tendance à attribuer un ensemble de caractéristiques péjoratives, transmises héréditairement, à un groupe d’individus, telles que « tous les Juifs sont avares ». En revanche, toute indication d’une différence physique, physiologique entre populations n’a évidemment rien de raciste.
Au début du XXe siècle, on assiste en effet à la tragique synthèse entre le racisme, théorie de l’inégalité des races ; le déterminisme génétique, qui considère que les gènes gouvernent toutes les qualités des êtres, notamment les qualités morales et les capacités mentales des hommes ; et l’eugénisme, qui se fixe pour but l’amélioration des lignages humains.
La réfutation scientifique de la réalité des races ne prend pas en compte les très fréquentes racines socio-économiques d’un racisme qui est souvent le reflet du mal-être et du mal vivre, par exemple au sein des populations défavorisées de grandes villes. Paradoxalement, il n’y a que peu de rapports entre la réalité des races et celle du racisme.
In PROGRESSISTES - SCIENCE, TRAVAIL ET ENVIRONNEMENT