Le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3PP) est mort avant que d’avoir vécu, mais les salariés se verront généreusement accorder un « compte de prévention » par l’énième réforme du droit du travail. Cet acte symbolise jusqu’à l’absurde le mépris d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe pour le bien-être des ouvriers et des employés, les plus touchés par cette pénibilité (dont l’existence est niée jusque dans les mots), et plus largement, l’absence de réflexion approfondie sur le travail.
Le compte pénibilité avait été négocié dans le cadre de l’Accord National Interprofessionnel de 2013 , et était entré en vigueur il y a un an, en juillet 2016. Système à points, il dénombrait dix critères de risque induisant un départ plus ou moins anticipé à la retraite. Ces critères étaient les suivants : le caractère répétitif des tâches effectuées, le travail de nuit, la pollution sonore, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition à des agents chimiques dangereux, le travail exercé en milieu hyperbare (pression supérieure à la pression atmosphérique), les températures extrêmes et enfin le travail en équipes successives alternantes[1]. Ce système, encore jeune, nécessitait souvent des efforts de la part des entreprises – notamment pour quantifier le « taux » de pénibilité pour certains critères – mais il permettait de prendre en compte l’impact du travail sur la santé des salariés, particulièrement en fin de carrière (problèmes d’articulation, maladies, handicaps…). Surtout, il visait une démarche de prévention, en faisant payer les employeurs qui infligeaient à leurs salariés des conditions de travail pénibles.
Avec la réforme du travail, le « compte de prévention » ressemblera au compte de pénibilité, si ce n’est qu’il sera sévèrement amputé. Quatre facteurs de risque quittent le compte : le port de charges lourdes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations mécaniques et à des risques chimiques. Des facteurs dont les risques pour la santé sont pourtant difficilement contestables – hormis pour le Medef, qui réclamait de longue date le rabotage du dispositif. Avec ce projet, le gouvernement prend donc pleinement la direction voulue par l’organisation de Pierre Gattaz, qui dénonce la complexité de l’évaluation de tels risques. Pire encore, la contribution spécifique des employeurs concernés est abandonnée, et avec elle, la logique de prévention et de diminution de la pénibilité.
Mais, au delà des arguments du Medef (pour autant facilement réfutables : au lieu de supprimer des critères, ne pouvait-on pas les clarifier ?), se cache une tendance plus profonde chez Macron : celle de nier les aspects pénibles, douloureux du travail, qui concernent pourtant un grand nombre de travailleurs en France. Lors de sa campagne, le chantre de la « start-up nation » avait déclaré à propos de la pénibilité : « Je n’aime pas le terme, donc je le supprimerai. Car il induit que le travail est une douleur. » Curieux, pour un président qui, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, avait cité la fameuse formule de Lacan sur le réel, celui auquel « on se cogne ». Car la pénibilité du travail est une réalité pour des millions de salariés, tout comme la différence d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres (à 35 ans, un homme cadre peut espérer vivre jusqu’à 84 ans, contre 77,6 ans pour un ouvrier selon l’Insee). Le refus de se confronter à cette réalité est révélateur de la vision macronienne du monde : une vision qui exclut les plus faibles et renonce à améliorer leurs conditions de vie, qui n’accepte de réfléchir au travail que dans sa dimension entrepreneuriale et managériale. A l’inverse, l’alternative à Macron ne pourra pas faire l’économie d’une vision du travail issue d’une réelle réflexion sur sa nature, son organisation et les souffrances qu’il peut engendrer.
SOURCE : le Vent se lève