Expert de la santé et de la sécurité au travail, le CHSCT est menacé par la fusion des instances représentatives voulue par le gouvernement. Mauvaise conscience de l’employeur, il lui rappelle sans cesse les conséquences de ses décisions sur les salariés.
Le gouvernement a annoncé mettre à l’étude la fusion des instances représentatives du personnel, le comité d’entreprise (CE), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ainsi que les délégués du personnel. Il est même évoqué d’attribuer un rôle normatif à la nouvelle instance fusionnée qui pourrait se substituer aux organisations syndicales en cas de carence de présence syndicale, voire dans tous les cas, annonçant ainsi la disparition du syndicalisme dans les entreprises obtenu en 1968. La fusion au sein d’une même instance des fonctions du délégué du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT risque fort de relativiser les questions de santé au travail au sein du compromis global du travail pris dans le triptyque emploi, salaire, conditions de travail. Chacune de ces instances a pourtant une histoire, mais surtout une raison d’exister qui donne des capacités singulières aux salariés pour intervenir dans les entreprises. Nous voulons donner ici un éclairage à la fonction particulière qu’ont acquis les CHSCT dans les entreprises, à partir de nos enquêtes et d’un rôle de formateur syndical.
Par la triple mission confiée par le code du travail, les CHSCT ont une place irremplaçable. C’est d’abord en tant que représentants de l’Etat et de l’intérêt général de la nation qu’ils interviennent lorsqu’ils vérifient le respect des lois et règlements concernant la santé et la sécurité du travail. La loi de 2013 leur a même confié le rôle de lanceur d’alerte en matière environnementale ! Ils constituent aussi un lieu unique de débat sur le travail à travers leur mission d’analyse. Leur droit d’enquêter lors d’un risque grave avéré ou d’une atteinte à la santé donne une place au travail réel des salariés, qui resterait sinon méconnu dans une entreprise gérée par les normes hiérarchiques. Ils sont enfin représentants des salariés lorsque l’employeur les consulte avant toute décision d’aménagement important ou concernant les grilles horaires, propositions qu’ils analysent en fonction de la santé et la sécurité des salariés.
Les élus du CHSCT constituent la mauvaise conscience de l’employeur, lui rappelant sans cesse les conséquences de ses décisions sur les salariés. Ils l’obligent à prendre en compte ce droit constitutionnel des salariés qui participent, par ces représentants, à la détermination collective des conditions de travail. Les lois Auroux de 1982 mettaient en avant le projet d’un salarié-citoyen, projet toujours d’actualité. Plus largement, le droit fondamental à la santé et la sécurité ne peut être imposé dans l’entreprise que comme un droit supérieur s’imposant à l’employeur. Ce dernier, qui préside cette instance, y trouve donc tous les éléments lui permettant de répondre à son obligation de sécurité de résultat concernant la santé et la sécurité des salariés, réaffirmée régulièrement par les juges de la Cour de cassation. Ils font écho au droit européen qui impose à l’employeur, par la directive de 1989, de prendre toute mesure pour préserver la santé physique et mentale des salariés.
Mais pourquoi en veut-on au CHSCT ?
Le Medef n’a eu de cesse de dénoncer les prérogatives exorbitantes à ses yeux de cette instance. C’est d’abord la personne morale qu’il veut supprimer, le droit d’ester en justice d’abord pour faire respecter son droit à l’information complète avant toute consultation, le droit d’accès à toutes les informations permettant aux élus de cette instance de remplir leur mission. En fournissant au CHSCT les documents obligatoires tels que le rapport annuel sur les accidents du travail ou le document unique d’évaluation des risques, l’employeur prend souvent conscience de ses obligations. C’est aussi ce droit à l’expertise du CHSCT, en cas de risque professionnel grave pour les salariés ou de modification importante de l’organisation de l’entreprise, qui menace la parole unique de l’employeur qui se déploie dans l’entreprise. Mais le gouvernement n’évoque-t-il pas la nécessité de renforcer l’expertise des élus des instances de représentation du personnel, ce que justement remplit l’expertise du CHSCT ?
Même ramené à une simple commission du CE à l’identique des commissions hygiène et sécurité établies en 1947, cela semble trop pour le patronat qui ne rêve que de pouvoir organiser l’entreprise à son seul bénéfice et sans en regarder les conséquences. La mise en concurrence effrénée entre entreprises dotées du droit d’établir (après une négociation que l’on devine déjà dissymétrique) leurs propres grilles salariales, voire pourquoi pas leurs règles de sécurité, ne peut souffrir ce contre-pouvoir que constituent les CHSCT concernant la santé, la sécurité et l’organisation du travail.
Cacher ces conditions de travail que je ne saurais voir ! Tel est le seul mot d’ordre du patronat, au mépris des droits fondamentaux des salariés, des réglementations européennes et des lois françaises.
Publié le 14 juillet 2017 par FSC
SOURCE : Libération
Par Louis-Marie Barnier, Sociologue du travail au Lest-CNRS-AMU, membre du conseil scientifique d'Attac — 12 juillet 2017