Né le 20 juillet 1925* à Fort-de-France, Frantz Fanon, cinquième enfant dans une famille mulâtre de huit, reçoit son éducation secondaire au lycée Schœlcher où Aimé Césaire l'influencera. Fanon deviendra un penseur-phare du Tiers-mondialisme et de l'anticolonialisme. En 1943, Fanon rejoint les forces françaises libres à la Dominique. Luttant côte à côte avec les « tirailleurs sénégalais », il est décidé à libérer la mère-patrie du nazisme. À ses amis qui lui disent que cette guerre n'est pas la leur, Fanon répond : « Chaque fois que la dignité et la liberté de l'homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu'elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m'engagerai sans retour »...La condescendance pour d'autres frères soldats d'Afrique, la différenciation sentie chaque jour entre troupes françaises et celles des colonies, la hiérarchie dans l'armée et les administrations mettent Fanon mal à l'aise. Ces années de guerre l'engageront sur la double piste d'une libération mentale et physique. Fanon entame des études de médecine à Lyon…La médecine – aussi bien que des cours de philosophie et de psychiatrie – lui permet de voir plus clair dans le processus complexe de la colonisation et dans la désubjectivation du colonisé. La médecine est une porte qui conduit Fanon vers la psychologie en milieu colonial, c'est-à-dire une branche de la psychologie qui prend en compte l'univers de la violence et l'aliénation du colonisé…En Algérie, Fanon fera adapter de nouvelles structures, la sociothérapie (la guérison par des pratiques sociales) et l'ergothérapie (la guérison par la pratique de métiers) et introduira des données spécifiquement « postcoloniales ». Préoccupé par le racisme qu'il affronte dans la vie quotidienne, il publie Peau noire, masques blancs en 1952, sa thèse de doctorat en psychiatrie…Responsable de l'hôpital psychiatrique à Blida de 1953 jusqu'à 1956, Fanon soigne de jour les blessés parmi les soldats français, de nuit plutôt les victimes de l'oppression coloniale. Il s'engage dans le politique car, comme il l'écrira dans sa lettre de démission, il y a un lien entre la psychose et l'aliénation colonialiste : « La folie est l'un des moyens de l'homme de perdre sa liberté. [...] Si la psychiatrie est une technique médicale qui se propose de permettre à l'homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d'affirmer que l'Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue ». Fanon importune parce qu'il voit plus large que son île : il dissèque les corrélations entre différentes sphères de la société coloniale ; sous l'angle sociologique, philosophique et psychanalytique, il aborde la question de la (dé)colonisation en connectant plusieurs ères. Rassemblant Algériens et Antillais – « Nous portions la calotte et eux la chéchia » (Manville) – Fanon est allergique à tout autoritarisme. La lutte tenace et la guerre fort inégale entre colonisateurs et colonisés lui révèlent les divergences dans les expériences de colonisation et de colonies : car si les Antillais ont opté pour rester dans le giron de la France-mère, l'Algérie et d'autres nations colonisées par la France paieront un lourd tribut pour l'indépendance. Constatant la vanité d'un traitement intra muros si la société extra muros tout entière est malade, Fanon décide de ne plus exercer.
Deux ans après le déclenchement de la guerre de libération, Fanon démissionne de son poste à Blida. Il sera expulsé d'Algérie en 1957 par les autorités françaises et s'installera à Tunis, où il rejoint le Gouvernement provisoire de la République algérienne. Il devient membre de rédaction d'El Moudjahid, organe important du FLN (le Front de libération nationale) et en 1959, fait partie de la délégation algérienne au Congrès panafricain d'Accra. En mars 1960, Fanon est nommé ambassadeur de l'Algérie au Ghana et assume un rôle diplomatique. Il publie L'An V de la révolution algérienne en 1959 et Les Damnés de la terre en 1961. Mort à Washington le 6 décembre 1961 d'une leucémie aiguë, Fanon a été inhumé au cimetière de Chouhadas, toponyme qui signifie aussi « les martyrs de la guerre », près de la frontière tunisienne, à quelques mois de l'Indépendance… D'une actualité brûlante, l'œuvre fanonienne continue de lancer des étincelles de révolte justifiée et de lutte acharnée contre toutes les inégalités.
Extrait de biographie faite par Kathleen GYSSELS
Œuvres principales:
Essais socio-politiques:
- Peau noire, masques blancs. Paris: Seuil, 1952; 1995.
- L'An V de la révolution algérienne. Paris: François Maspero, 1959. (Réédité chez Maspero en 1968 sous le titre « Sociologie d'une révolution ».) En version facsimilé: Paris: La Découverte, 2001.
- Les Damnés de la terre. (préface de Jean-Paul Sartre) Paris: François Maspero, 1961; Paris: Présence Africaine, 1963; Paris: Gallimard, 1991; Paris: La Découverte, 2002.
- Pour la révolution africaine; écrits politiques. Paris: François Maspero, 1964; Paris: La Découverte, 2006.
Essais scientifiques:
- « Sur essai de réadaptation chez un malade avec épilepsie morphiques et troubles de caractère graves » (avec François Tosquelles). Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Pau (20-26 juillet 1953): 363-68.
- « Sur quelques cas traités par la méthode de Bini » et « Indication de la thérapeutique de Bini dans le cadre des thérapeutiques institutionnelles » (avec François Tosquelles). Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, Paris (20-26 juillet 1953): 539-544 et 545-552.
- « Notes sur les techniques des cures de sommeil avec conditionnement et contrôle électro-encéphalographique » (avec M. Despinoy et W. Zenner). Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, Paris (20-26 juillet 1953):
- « Réflexions sur l'ethnopsychiatrie ». Conscience maghrébine 3 (1955): 1-2.
- « Le phénomène de l'agitation en milieu psychiatrique: Considérations générales - signification psychopathologiques » (avec S. Asselah). Maroc médical (janvier 1957).
- « À propos d'un cas de spasme de torsion » (avec L. Levy). La Tunisie médicale 36.9 (1958).
- « L'Hospitalisation de jour en psychiatrie: Valeurs et limites » (avec C. Geronimi). La Tunisie Médicale 38.10 (1959): 713-32.